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Petite anthologie du Cinéma de pédé

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Voilà plusieurs mois que je vous promets un article sur le Cinéma de pédé. Ayant déjà failli à mes obligations une fois par le passé, je ne peux décemment pas me permettre de vous décevoir à nouveau; me voici donc au pied de cet Everest personnel, prêt enfin à le gravir. Mais plutôt que le Top Ten attendu, j’ai choisi de dresser une petite chronologie, afin que se dégagent les moments clés de l’histoire du cinéma gay (oui, moi aussi ça m’arrive de dire gay). A noter que le choix des films est parfaitement subjectif et correspond à mon goût personnel: vous ne trouverez par exemple nul trace dans cet historique de Patrice Chéreau ou d’André Téchiné, deux cinéastes qui, s’ils ne manquent pas de talent, sont à mon humble avis particulièrement ineptes lorsqu’ils s’agit de représenter l’homosexualité à l’écran.

1930: Marlene Dietrich fait une entrée fracassante sur les écrans américains dans l’éblouissant Morocco : l’oeil aguicheur et la cigarette au bec, vêtue d’un smoking et d’un haut de forme, elle embrasse une femme sous le regard médusé de Gary Cooper. La scène échappe de peu à la censure grâce à l’intervention de Marlene elle-même.

1936: Incarnée par le très puritain Code Hays, la censure règne à Hollywood. The Children’s Hour, l’une des plus célèbres pièces de Lillian Hellman, est adapté au cinéma par William Wyler sous le titre These Three, après expurgation d’un de ses thèmes centraux, le lesbianisme.

1940: Dominant l’inoubliable Rebecca d’Alfred Hitchcock, l’immense Judith Anderson donne vie à un archétype indéboulonnable : la lesbienne maléfique (voir aussi Judi Dench dans Chronique d’un scandale).

1958: Richard Brooks adapte La Chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams à l’écran, en prenant soin d’exciser l’homosexualité de Brick, le personnage central. Le film à beau tergiverser, l’évidence demeure : un homme qui se refuse à ça ne peut être qu’homosexuel.

1959: Un an plus tard, l’adaptation d’une autre pièce de Tennessee Williams, Soudain l’été dernier, maintient -sans jamais la nommer- l’homosexualité d’un de ses personnages clés. Normal: celui-ci n’apparait jamais à l’écran, est présenté comme un prédateur vicieux et diabolique, et périt dans d’atroces souffrances. Le message est clair.

1961: William Wyler, insatisfait de These Three, adapte une nouvelle fois The Children’s Hour, cette fois-ci sous son titre original et avec une plus grande fidélité à l’oeuvre de Lillian Hellman. Dans le documentaire The Celluloid Closet, Shirley MacLaine (qui joue Martha, la lesbienne) dévoile la gêne qui régnait sur le plateau et révèle qu’Audrey Hepburn et elle-même n’ont jamais osé discuter entre elles des thèmes abordés par le film.

1868: Dans le mythique Théorème de Pier Paolo Pasolini, un jeune homme (Terence Stamp) met chacun des membres d’une famille bourgeoise dans son lit. Parabole mystique, le film reçoit le grand prix de l’Office catholique international du cinéma, qui lui est retiré après les protestations des vieux croûtons ulcérés du Vatican.

1969: Dans son chef-d’oeuvre Les Damnés, Visconti donne au cinéma l’une de ses images les plus marquantes: Helmut Berger travesti en Marlene Dietrich entonnant Kinder heute Abend. Mais le morceau de bravoure de ce film grandiose reste la séquence de la Nuit des Longs Couteaux, qui démarre en orgie homo-érotique décadente entre officiers SA avant de s’achever dans un gigantesque bain de sang.
A des années lumières de là, à Hollywood, le chemin à parcourir est encore long: un an après l’effondrement du Code Hays, Stanley Donen, le réalisateur de Singin in the Rain, embauche deux des plus grand coureurs de jupons en activité -Richard Burton et  Rex Harrison- pour jouer un couple de vieilles coiffeuses hystériques dans L’escalier, l’une des premiers films américains à aborder de front la question de l’homosexualité. Le résultat est apparemment si offensant que le film est introuvable depuis des décennies.

1971: TADZIO! Visconti (encore lui) donne aux vieilles tatas libidineuses leurs lettres de noblesses avec le sublime Mort à Venise.

1980: Cruising, un thriller situé dans le milieu des bars cuirs new-yorkais, fait scandale, mais cette fois-ci du côté des pédés -ceux-ci ont entre temps acquis le droit à la parole- qui reprochent au film de William Friedkin sa peinture négative de la communauté homosexuelle.

1982: Le jour précis de la naissance d’une future star du web, Blake Edwards sort son chef d’oeuvre: Victor Victoria, l’histoire d’une femme qui se travestit en homme qui se travestit en femme. Sublime jeu de faux-semblants, brillantissime ballet d’identités sexuelles renversées, et peut-être le premier film hollywoodien à traiter l’homosexualité avec une totale décontraction.

1985: Le cinéma anglo-saxon rattrape son retard: Stephen Frears et Hanif Kureishi volent dans les plumes d’une Angleterre thatcherienne empreinte de rigidité et d’intolérance avec l’effervescent My Beautiful Laundrette, qui mêle joyeusement comédie, drame social et romance homosexuelle. Aux Etats-Unis, le cinéaste brésilien Hector Babenco triomphe avec  le sublime Baiser de la femme araignée, bouleversante histoire d’amitié amoureuse entre deux détenus d’une prison sud-américaine, l’un homosexuel, l’autre révolutionnaire.

1987: Deux des plus célèbres cinéastes homosexuels du siècle dernier se décident enfin à filmer une histoire 100% pédé: avec La Loi du Désir, Almodóvar transforme une banale histoire de stalker en une exploration torride de l’obsession amoureuse, et atteint l’un des sommets de sa première période (en n’oubliant pas de dénuder amplement Banderas à l’époque ou il ressemblait à ça).
A l’opposé du spectre, James Ivory, adaptant une nouvelle fois E.M. Forster, offre avec Maurice l’un de ses films les plus achevés, évocation romantique et discrètement déchirante de l’homosexualité dans l’Angleterre edwardienne. (Notons que Maurice constitue également un inépuisable réservoir de fantasmes, mais dans un tout autre genre: étudiants en uniformes et galipettes avec le garde-chasse)

1991: Nouvelle icône du cinéma gay, Gus Van Sant s’approprie Shakespeare dans My Own Private Idaho, road-movie élégiaque, emblématique du mouvement indépendant qui secoue le cinéma américain au tournant des années 90. Inoubliable en tapin narcoléptique amoureux de son pote Keanu Reeves, River Phoenix trouve là le rôle de sa vie.

1994: D’Australie nous vient le premier grand film de drag queens, l’incendiaire Priscilla, folle du désert, qui révèle sous des monceaux de maquillage et de plumes ces piliers du cinéma hétéro que sont Hugo Weaving (Matrix, Le Seigneur des Anneaux) et Guy Pearce (L.A. Confidential, Memento). Dans le rôle de la transsexuelle du groupe, Terence Stamp, la star de Théorème, fait un come-back étincelant.

1996: A l’époque où ils étaient encore deux garçons -et où, accessoirement, ils savaient encore filmer- les frères Wachowski assaisonnent le film noir à la sauce saphique dans l’irrésistible Bound, réinventant au passage la figure de la femme fatale via les incandescentes Gina Gershon et Jennifer Tilly, peut-être le couple lesbien le plus marquant de l’histoire du cinéma.

1999: Hilary Swank a beau être l’actrice la plus agaçante du cosmos, impossible de ne pas s’incliner devant la justesse de sa performance dans le saisissant Boys Don’t Cry, une oeuvre d’une étonnante puissance poétique sur la vie de Brandon Teena -une jeune délinquante assassinée par ses potes rednecks après s’être fait passer pour un garçon.

2000: Superstar de la scène artistique new-yorkaise, Julian Schnabel adapte au cinéma le roman autobiographique du poète cubain Reinaldo Arenas, Avant la nuit. La vie de cet hédoniste persécuté par les révolutionnaires en raison de son homosexualité permet à Schnabel de signer un film d’une ardente sensualité, à la fois politiquement engagé et plastiquement renversant. Inoubliable Arenas, Javier Bardem explose hors des frontières de son pays – et trouve peut-être son plus beau rôle.

2002: L’année Julianne Moore. Dans The Hours, elle incarne une mère de famille bouleversée par la lecture de Mrs. Dalloway de Virginia Woolf, qui lui fait réaliser que son goût se porte peut-être moins sur le zgeg que sur le minou. Et dans Loin du Paradis, somptueux hommage à Douglas Sirk signé Todd Haynes, elle est une épouse modèle qui découvre que son mari fait des heures sup au boulot avec des jeunes éphèbes. L’actrice touche au sublime dans ces deux oeuvres phares des années 2000.

2005: Ang Lee donne enfin au cinéma gay le chef d’oeuvre qu’il attendait: Brokeback Mountain. Armé d’un Heath Ledger rugueux à souhait, l’immense réalisateur de Tigre et Dragon donne à cette tragédie amoureuse une ampleur colossale, abordant son sujet avec une frontalité toute mainstream qui faisait jusqu’ici défaut au cinéma de pédé. Décrié aujourd’hui dans certaines cercles snobinards, Brokeback Mountain demeure une date dans l’histoire du cinéma.

2006: John Cameron Mitchell, le créateur allumé de Hedwig and the Angry Inch, dévoile l’hallucinant Shortbus, kaleidoscope d’histoires de cul tour à tour hilarantes et poignantes, somptueusement mises en musique et performées par des acteurs qui n’ont pas froid aux parties génitales. Les spectateurs n’ayant pas l’habitude de voir des hommes pratiquer des autofellations s’étranglent dans les salles MK2.

2008: En pleine vague de biopics plus ou moins embarrassants, on pouvait craindre le pire de celui d’Harvey Milk, premier élu ouvertement homosexuel de l’histoire de la politique américaine. Surprise! Brillamment structuré par le jeune scénariste Dustin Lance Black, mis en scène avec une belle générosité par un Gus Van Sant débarrassé de ses affèteries éléphantesques, et fabuleusement interprété par un Sean Penn au sommet, Milk se révèle une oeuvre essentielle, à la fois pédagogique et fougueusement cinématographique.

2009: Jeune prodige québécois âgé d’à peine 20 ans, Xavier Dolan débarque sur la croisette avec J’ai tué ma mère, un film semi-autobiographique qu’il a écrit, réalisé et produit, et dont il interprète le rôle principal. Certaines crient au génie, d’autre à l’imposture, mais difficile de nier le mordant de l’écriture, l’audace des choix plastiques, la performance spectaculaire de la tornade Anne Dorval, et la spontanéité avec laquelle Dolan filme sa propre sexualité, qui annonce un tournant dans la représentation de l’homosexualité au cinéma.

2010: The Kids are all right de Lisa Cholodenko. Donc j’ai déjà beaucoup parlé, ici et ici.

2011: Si vous n’avez pas encore vu Tomboy, ruez vous dans dans les salles pour ne pas rater ce diamant à la beauté solaire, qui évoque avec une justesse presque surnaturelle les émois de l’enfance. Ecrit et filmé avec une assurance et un talent proprement électrisants, Tomboy confirme, quatre ans après Naissance des pieuvres, les dons considérables de Céline Sciamma, l’une des rares vraies cinéastes à émerger en France ces dernières années.

On a beau n’être qu’au mois de Mai, je peux déjà vous affirmer qu’il n’y aura pas de meilleur film français au cinéma cette année.



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